Fourmillante d’idées, Corinne Prose n’arrête jamais… Pourtant, son parcours de styliste free lance ne commence que par hasard, après des études d’histoire de l’art.
« J'ai découvert Esmod et ma vocation de styliste en feuilletant le magazine Marie-France. Je voulais vaguement devenir conférencière. Mais j'ignorais à cette époque qu'il y avait des écoles de stylisme où l'on pouvait apprendre la mode. Je l'ai appris à travers une publicité d’Esmod. Je me suis donc renseignée et je me suis inscrite pour la rentrée scolaire suivante ». Attendant son second enfant, elle prend soin de calculer que son accouchement aurait lieu avant la rentrée de septembre...
Déjà maman d’une petite fille d’un an, Corinne suit donc les cours de stylisme-modélisme à Esmod Paris entre 1983 et 1986. Deux années bien remplies à l’emploi du temps minuté, qu’elle réalise parallèlement à une carrière d’institutrice à mi-temps…
« C'était un gros boulot, mais j'étais motivée car je ne voulais pas rester institutrice. Ce n'était pas ma vocation, même si j'aime beaucoup les enfants. J'avais fait un emprunt bancaire pour payer ces études de mode. Mes deux bébés étaient à la crèche. Moi j’étais institutrice le matin et l'après-midi étudiante à Esmod. C'est donc le soir et la nuit que je faisais mon travail de préparation de classe, ainsi que celui pour Esmod. En fait, même si j’étais passionnée, j'avais un peu de mal à tout faire… ».
Sentant que sans être la meilleure, son envie de travailler dans la mode reste entière, elle décide de faire une spécialisation de Mode Enfantine en seconde année. Pas facile à réaliser lorsqu’en fin de première année elle comprend qu’elle n’est pas sélectionnée pour passer en seconde… « A ce moment là, j'ai été voir la directrice de l'époque et je l'ai convaincue que, si je n'étais pas la plus douée, j'étais sans doute la plus motivée. Je lui ai donc demandé de me donner ma chance. Et elle a accepté ! ».
Au cours de cette seconde année, elle gagne le concours d’une marque de vêtement en tricot, Ozona. Sélectionnée avec un jacquard qui sera mis en vente, elle leur propose non sans culot, de travailler pour eux. L'entreprise lui fait signer son premier contrat de freelance. « Du coup je n'ai pas fait la 3e année d’Esmod, poursuit-elle. Je ne me voyais pas continuer l'enseignement en plus de mes deux enfants et du travail pour l’école, je me suis donc lancée tout de suite ».
Forte des bonnes bases accumulées durant ses deux premières années et des stages effectuées grâce à Esmod, elle sait davantage comment fonctionne le système de la mode. « Esmod a été pour moi un excellent tremplin ».
Planet Esmod : Quand avez-vous su que vous seriez styliste free lance ?
Corinne Prose : J’ai toujours su que j’étais entrepreneuse. Même avant l’école. Depuis le début de ma carrière j’ai été freelance, donc totalement indépendante. Je suis une entrepreneuse : l’envie du salariat ne m’a jamais effleurée. Cela m’a aussi permis de faire plein de voyages, au Japon, en Chine, au Pakistan, etc.
P. E. : Comment avez-vous enchainé les expériences professionnelles ensuite ?
C. P. : Forte du contrat Ozona, j’ai démarché d’autres marques sur un salon professionnel. Et convaincu le directeur artistique de Babygro de me confier la collection Bébé vendue en hypermarché à l’époque : Dinou. Avec une amie créative rencontrée à Esmod, j’ai décidé de partager ce solide contrat. Ensemble, nous avons également travaillé pour les chaussettes Kindy.
P. E. : Des expériences éphémères ou plus durables ?
C. P : J’ai travaillée en freelance pour Kindy durant 12 ans ! Là, nous avons mis en place les processus de création de dessins sur ordinateur, ce qui était plutôt précurseur à l’époque. C’était d’ailleurs un peu laborieux. Les imprimantes mettaient une heure à sortir une page en couleurs… Mais malgré tout, ça permettait d’aller plus vite.
P. E. : Regrettez-vous cette époque pionnière ?
C. P. : Oui et non. La technologie a heureusement progressé, mais aujourd’hui les clients demandent aussi dix fois plus de travail qu’avant. Lorsque j’ai commencée, les stylistes ne participaient qu’a la création. Aujourd’hui on leur demande de faire les fiches techniques, les calculs de prix, les comparaisons de fournisseurs, etc. C’est devenu un métier très technique. C’est aussi pourquoi je n’ai pas du tout envie de devenir salariée. J’aime avant tout m’occuper de la création. Moins d’aller discuter avec les fournisseurs. Même si je le fais actuellement pour mon projet personnel : Le Mouchoir Français.
P. E. : Pouvez-vous définir votre champ d’action ?
C. P. : J’aime faire des choses différentes. Donc je dessine des vêtements, mais aussi des accessoires, de la bagagerie scolaire, de la déco, etc. J’aime rester éclectique.
A un moment, comme j’avais pas mal de contrats, je me suis organisée
sous forme d'agence, à travers Avril Studio. Je suis donc devenue davantage directrice commerciale et directrice d’agence, manageant jusqu'à 10 salariés. Nous étions spécialisés en Enfant. Nous faisions également des cahiers de tendances. A un moment notre plus gros client, Carrefour International, a décidé d’intégrer ses collections Enfants. Perdant 60% de mon chiffre d’affaire, il a fallu arrêter l’agence. Mais après une dizaine d’années de fonctionnement quand même !
P.E. : Comment avez-vous rebondie ensuite ?
C. P. : Redevenue indépendante, je me suis immédiatement concentrée sur un autre projet : la création d’une marque d’inspiration Manga, Kawaïko. J’ai même eu une boutique à Paris en 2009 pour ces vêtements que je faisais réaliser localement à Paris. J’importais des chaussures du Japon ou des Etats Unis dans cet esprit kawaï, mais aussi du maquillage, de la presse japonaise, des places de concert, etc. Tout cela marchait bien, mais après la crise de 2008, ce n’était plus aussi facile. J’ai donc arrêtée la marque, mais conservé le contrat de licence avec Clairefontaine pour la papeterie. Depuis, je travaille en free lance pour différentes marques. Jusqu'à récemment je dessinais ainsi les cartables de Système U.
D’autre part je travaille aussi avec mon compagnon, Stéphane Dehaumont qui vient de l’univers de la publicité. Nous avons un site en commun, ‘les-dudes.com’, qui nous permet de réaliser des chartes graphiques mais aussi des collections en licences. C’est pourquoi nous avons créé l’entreprise Commune Licence. A un moment nous avons travaillé avec l’ex-directeur de Disney France sur différentes marques. Nous avons créé entre autres la charte graphique de l’émission de TF1, Koh-Lanta. Ce qui leur permet d’avoir suffisamment de matière afin de créer des produits, T-shirts et licences diverses. Nous avons également créé des marques de mode en licence à partir d’entreprises à forte image, mais situées à l’origine dans d’autres domaines. Notre nouvelle idée s’appelle « Les Muses et Moi ». Le concept est de reprendre des œuvres artistiques libres de droit et d’en faire des propositions qui peuvent être utilisées pour du textile, de la déco, des accessoires, etc. J’ai travaillée autour d’Hokusai ou d’artistes Art Déco, par exemple.
P. E. : Quels sont vos projets aujourd’hui ?
C. P. : J’ai été récemment associée au site « Le Mouchoir Français ». Ce sont des mouchoirs en tissus fabriqués en France. J’apportais au fondateur de ce concept un côté plus créatif. Cette entreprise participait aussi à une économie circulaire, une Scop (coopérative) faisait les ourlets, les tissus étaient en coton bio, etc. J’ai créé là une douzaine de collections imprimées en fonction des commandes, ce qui permettait de ne pas avoir à gérer un stock. Désormais j’ai créé ma propre marque de mouchoirs : « Le Carré d’Artiste ». L’idée est, en plus de mes collections, de faire travailler des artistes, en séries limitées. Et même de travailler avec des licences. Ou pourquoi pas de faire un concours de dessins avec les étudiants d’Esmod ?
P. E. : Justement, quels conseils pourriez-vous donner aux étudiants d’aujourd’hui à Esmod ?
C. P. : Il faut qu’ils se posent quelques questions. Qu’ils apprennent ce que signifie leur métier et comment le pratiquer de façon vertueuse, idéalement. S’ouvrir, questionner, être curieux, ça doit être leurs premières préoccupations. On ne sait jamais vraiment ce que l’on veut être au départ, mais les opportunités naissent en travaillant. En étant curieux et imaginatif, sa propre voie s’ouvre forcément. Il ne faut jamais hésiter trop longtemps non plus. Etre capable de suivre son instinct et ses impulsions.
P. E. : Quelle est la plus grande qualité d’Esmod selon vous ?
C. P. : L’école apporte une appréhension des milieux de la mode qui sert longtemps après. A l’époque, Esmod m’a vraiment intéressée pour les gens qui y étaient, les contacts que je m’y suis fait. On apprend aussi énormément rien qu’en étant habilleuse sur un défilé par exemple. Ensuite, son vrai métier, on l’apprend toujours mieux en exerçant. Mais à l’école on fait un tas d’expériences formatrices. Il faut y passer afin ne serais-ce que de comprendre comment tout cela fonctionne. Et personnellement je referais le même parcours avec plaisir.
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