Créer sa marque de mode en sortant d’Esmod peut-il mener au succès ? Etude d’un parcours réussi avec Kuan Wang, fondateur de VIRUS PARIS, devenue KUAN WANG PARIS en 2020.
Depuis 2016 ce lauréat d’Esmod propose un prêt-à-porter masculin et féminin haut-de-gamme à travers ses collections créatives épatantes. En septembre 2019, Kuan Wang a également été le principal lauréat du concours international de jeunes créateurs Lab of Mittelmoda, à Milan.
Vif, amusant et plein de sensibilité, Kuan Wang est un chinois de l’extrême. Derrière sa fausse légèreté, c’est bien un bourreau de travail, qui se dessine, aussi exigeant pour lui que pour les autres. Né à Wuhan dans la province de Hubei au centre de la Chine en 1992, ce diplômé d’Esmod en 2015 a presqu’immédiatement créé sa propre marque, Virus Paris, quelques mois plus tard avec deux autres amis. Une précocité qu’il déconseille cependant aux jeunes lauréats d’Esmod : « Après l’école, même si les étudiants se sentent très fort, il faut au moins un an de travail en entreprise avant de créer sa propre collection ». Lui n’a réalisé que deux stages avant de se lancer : l’un au sein du studio de création Each Other et l’autre chez Elie Saab au service communication. Des collaborations courtes qui lui servent cependant toujours au quotidien.
C’est dans son studio du Marais que nous rencontrons ce chercheur de mode, alors qu’il rentre de Chine et termine sa neuvième collection Virus Paris.
Planet Esmod : Pourquoi vous être dirigé vers l’univers de la mode ?
Kuan Wang : Je suis né dans la mode. Ma famille travail dans ce domaine. Ma mère vend des tissus. Mon père est couturier et professeur de couture. En fait, je suis même physiquement né dans le studio de mon père : ma mère a accouchée au travail. Bon, l’hôpital était à côté aussi (rire).
P. E. : Alors pourquoi avoir suivi une école de mode en France ? N’était-il pas plus simple de rester auprès de votre famille ?
K. W. : Non, je n’ai jamais eu envie d’apprendre, ni de rester avec mon père. De son côté, il ne voulait pas non plus que je fasse ce métier qu’il juge fatiguant et pas assez bien pour son fils. Mais moi, très jeune j’étais déjà créatif. J’ai imaginé et fais réaliser mon premier manteau dès l’âge de 12 ans. Après le lycée, j’ai suivi une formation de dessin et d’art plastique. Puis je me suis tourné vers le dessin d’architecture, mais ça ne me plaisait vraiment pas. En cherchant une école de mode, je suis tombé sur Esmod Tokyo. Mais quand j’ai découvert que l’école originale était à Paris, je me suis inscrit à Paris. J’ai bien fait, car même informé du métier de mes parents, je n’avais aucune expérience professionnelle quand je suis arrivé ici. J’étais une feuille blanche.
P. E. : Qu’avez-vous appris concrètement à Esmod alors ?
K. W. : J’y ai suivi des cours de stylisme et modélisme. J’ai surtout appris à dessiner des vêtements. A Esmod, on apprend que le dessin est important, mais aussi qu’il y a plein de façons différentes de créer. Parfois je ne dessine pas, je coupe et monte directement ce que je veux. Il y a plein de façons de faire au-delà du dessin. Et puis aussi, je n’ai plus peur. L’école m’a donné de l’assurance. Si j’ai une idée, même un peu compliquée, je sais que je peux la réaliser. La technique m’aide énormément au quotidien. Désormais, je peux même montrer comment faire aux modélistes que j’emploi ou aux monteurs qui réalisent ma collection.
P. E. : Comment fonctionne Virus Paris ?
K. W. : C’est une petite société, mais structurée. Nous sommes 4 et demi en tout désormais. Et parfois, il y a aussi l’équipe de mes parents qui m’aide. Nous produisons entre 60 et 80 pièces par collection, à travers deux collections par an, plus une collection capsule une fois dans l’année. Virus Paris est vendu dans 8 boutiques, pour moitié en Europe et moitié en Chine. Deux boutiques vendent mes créations à Paris. Maintenant, c’est le côté commercial que je dois développer.
P. E. : Comment définiriez-vous votre style ?
K. W. : Ma ligne est unisexe. D’inspiration masculine, elle se décline en silhouettes féminines aussi. Mais vraiment je n’aime pas trop répondre à cette question de genre. C’est un peu dépassé je trouve. Dans nos vêtements, qu’ils soient minimalistes ou plus décorés, il y a toujours un aspect qui séduit, garçons ou filles, quelque chose qui les contamine positivement et leur fait envie. Plus techniquement, chaque collection est scindée en 3 parties : 20% de pièces images plus créatives. 40% de pièces créatives adaptées au commercial et le reste ce sont des pièces Virus Paris mais en version plus simples, minimalistes.
P. E. : Est-ce que votre expérience parisienne et le savoir-faire acquis au sein de l’école sert désormais également en Chine dans l’entreprise de votre famille ?
K. W. : Parfois on me demande des conseils oui, mais pas souvent. Il faut préciser que mes parents ont un atelier/boutique et deux usines spécialisées dans les uniformes de travail sur-mesure pour les entreprises. C’est un créneau très particulier, mais important en Chine. Donc le plus souvent c’est l’inverse qui se produit. C’est moi qui fais réaliser les prototypes de ma collection chez eux. Cela permet de réduire le coût global de ma collection. Car j’achète mes tissus à Première Vision, je travaille avec des fournisseurs japonais, italiens, etc. Tout ça coute très cher. Je n’ai jamais demandé d’argent à mes parents pour me lancer, alors depuis ma cinquième collection, j’ai pris la liberté de me faire aider par leur atelier pour certains prototypes. Coté production, je fais réaliser en France toutes les pièces images qu’il faut contrôler de A à Z. Ensuite, je fais réaliser les pièces plus simples en Inde et 60 à 70% du reste de la collection en Chine.
P. E. : Imaginez-vous plus tard reprendre l’entreprise de vos parents, en plus de Virus Paris ?
K. W. : On verra, mais j’ai aussi deux sœurs qui elles sont restées travailler avec mes parents. Je ne saurais répondre à cette question aujourd’hui. Ce qui compte désormais pour moi, c’est bien ma collection. Leur travail est plus classique, plus industriel aussi.
P. E. : Quel est votre meilleurs souvenir de l’école ?
K. W. : C’est le pire et le meilleur de mes souvenirs. C’était durant les deux derniers mois à Esmod Paris lors de la préparation de ma collection de fin d’études. Je n’ai pas beaucoup dormi durant ces deux mois. Je voulais faire une collection que je ne pourrais jamais refaire de ma vie. J’ai même fabriqué moi-même le tissu de l’une des tenues. Je travaillais jour et nuit aidé par des vitamines, ce n’était pas très sain… Mais c’est aussi le meilleur de mes souvenirs de l’école car j’y suis arrivé. C’était un challenge. Je n’ai fini cette collection que dix minutes avant le jury final. C’était une expérience unique et ça m’a encouragé en fait. Esmod m’a donné confiance en moi. Maintenant je n’ai plus peur.
P. E. : Comment s’est déroulé le concours Lab of Mittelmoda que vous avez remporté ?
K. W. : D’abord, je n’aime pas trop les concours. En créant Virus, je voulais créer des vêtements pour tous ceux qui aiment mon univers. Pas pour séduire tout le monde. Je voulais cependant participer au Festival de la Mode de Dinan, mais l’année de ma fin d’étude, ce concours n’a pas eu lieu. Enfin, il y a un an et demi, le salon milanais Mittelmoda m’a contacté pour participer à son concours. Comme ils avaient 26 ans d’existence et que c’était mon âge, alors j’ai accepté. Après une première sélection, je faisais partie des 25 finalistes, c’était très excitant. Mais lors de la remise des prix j’ai attendu jusqu’à la fin. J’étais stressé en me demandant si j’avais l’un des prix ou pas. Je ne voulais pas être dans les premiers prix remis bien sûr, car ce sont des petits prix. Mais plus le temps passait plus je me demandais si j’avais quelque chose quand même… Je ne m’attendais finalement pas à gagner le plus grand prix, celui qui couronne le concept le plus innovant.
P. E. : Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui terminent leur formation de mode ?
K. W. : Pour créer sa propre entreprise, il faut être très fort. Même pour moi qui suis issue d’une famille de ce métier ce n’est pas si simple. Alors pour quelqu’un qui ne part de rien, … Il faut être très sûr de soi pour se lancer. Et aussi pouvoir investir beaucoup au début. En temps et en argent. Pour moi créer une marque est un acte qui vous engage pour la vie. Ce n’est pas une expérience d’un an ou deux. C’est un engagement essentiel. C’est pourquoi, lorsque je suis jury je peux être sévère, car c’est un métier qui ne fait pas de cadeaux. En travaillant, j’ai compris pourquoi certains professeurs sont si durs parfois. Ce métier est difficile, donc être trop gentil avec des étudiants ce n’est pas vraiment leur rendre service. De plus, il y a beaucoup de concurrence aujourd’hui, les créateurs viennent du monde entier débuter à Paris.
P. E. : Quels sont vos projets désormais ?
K. W. : Trouver des partenaires afin de pouvoir me développer. Pouvoir ouvrir une première boutique Virus Paris par exemple et continuer à vendre dans des multimarques. Je voudrais aussi faire des événements ou même des défilés régulièrement. Côté image et travail, j’habille quelques personnalités comme la top-model Cindy Bruna. Je fais aussi désormais des costumes de scènes par exemple, pour des groupes de musique, sur commande. Récemment j’ai ainsi habillé le boys band des TFBoys en Chine (The Fighting Boys). Avec un peu de succès je pense... Mes créations pour eux ont reçues plus d’un million de ‘like’ en à peine trois heures sur les réseaux sociaux. C’est plutôt encourageant !
KUAN WANG, INFECTED BY THE FASHION VIRUS
Can creating a fashion brand after graduating from ESMOD lead to success? Study of a successful career with Kuan Wang, founder of Virus Paris.
Kuan Wang, founder of Virus Paris
Since 2016 this Esmod alumnus has been designing high-end men's and women's ready-to-wear through his stunning creative collections. In September 2019, Kuan Wang was also the main winner of the international competition for young designers in Milan - Lab of Mittelmoda.
Lively, funny and full of emotion, Kuan Wang is the ultimate Chinese designer. Behind his false lightness, he is a workaholic, who asks a lot from himself as well as from the others. Born in Wuhan, in Hubei province in central China in 1992, he graduated from ESMOD in 2015 and, a few months later, created his own brand, Virus Paris - with two of his friends. However, he advises young Esmod graduates not to be too hasty: "After school, even if students feel very strong, it takes at least a year of work in a company before creating your own collection". He only did two internships before starting: one at the Each Other design studio and the other at Elie Saab's communication department. These short collaborations are, however, still useful to him on a daily basis.
We meet this fashion designer in his studio in the Marais as he returns from China and completes his ninth Virus Paris collection.
Planet Esmod : Why did you go into the world of fashion ?
Kuan Wang : I was born into fashion. My whole family works in this industry. My mother sells fabrics. My father is a dressmaker and sewing teacher. In fact, I was even physically born in my father's studio. My mother gave birth at work. Well, the hospital was next door too (laughs).
P. E. : So why did you go to a fashion school in France? Wasn't it easier to stay with your family?
K. W. : No, I never wanted to learn, never wanted to stay with my father. Nor did he want me to do this job, which he found tiring and not good enough for his son. But I was already creative at a very young age. I imagined and had my first coat made at the age of 12. After high school, I studied drawing and plastic arts. Then I turned to architectural drawing, but I really didn't like it. While looking for a fashion school, I came across Esmod Tokyo. But when I found out that the original school was in Paris, I enrolled in Paris. I did the right thing, because even though I was aware of my parents' profession, I had no professional experience when I arrived here. I was a blank sheet of paper.
P. E. : What did you learn at ESMOD ?
K. W. : I took courses in fashion design and pattern-making there. Mostly I learned how to design clothes. At Esmod, you learn that drawing is important, but also that there are lots of different ways to create. Sometimes I don't draw, I just cut and mount what I want. There are lots of ways to do things beyond drawing. And also, I'm not afraid anymore. School has given me confidence. If I have an idea, even if it's a little complicated, I know I can make it happen. The know-how helps me a lot on a daily basis. Now I can even show how to do it to the pattern-makers I employ or to the fitters who make my collection.
P. E. : How does Virus Paris work ?
K. W. : It's a small, but structured company. There are four and a half of us altogether now. And sometimes my parents' team helps me out. We produce between 60 and 80 pieces per collection, with two collections per year, plus a capsule collection once a year. Virus Paris is sold in 8 boutiques, half in Europe and half in China. Two boutiques sell my creations in Paris. Now, it's the commercial side that I have to develop.
P. E. :How do you define your style ?
K. W. : My line is unisex. Inspired by menswear, it is also available in feminine silhouettes. But I really don't like to answer this gender question. It's a bit outdated, I think. In our clothes, whether they're minimalist or more decorated, there's always an aspect that seduces, boys or girls, something that positively contaminates them and makes them want it. More technically, each collection is divided into 3 parts: 20% more creative image pieces. 40% of creative pieces adapted to the market and the rest are Virus Paris pieces but in simpler, minimalist versions.
P. E. : Is your Parisian experience and the know-how acquired at the school now also used in China in your family's business?
K. W. : Sometimes they ask me for advice, yes, but not often. It should be pointed out that my parents have a workshop/store and two factories that specialize in custom-made work uniforms for companies. This is a very special but important niche in China. So more often than not, it's the other way around. I have the prototypes of my collection made by them. This reduces the overall cost of my collection. Because I buy my fabrics from Première Vision, I work with Japanese, Italian suppliers, etc., and I'm not the only one who buys from them. It all costs a lot of money. I never asked my parents for money to get me started, so since my fifth collection, I've taken the liberty of getting help from their workshop for some prototypes. On the production side, I have all the picture pieces made in France, which have to be checked from A to Z. Then, I have the simpler pieces made in India and 60 to 70% of the rest of the collection made in China.
P. E. : Can you imagine later taking over your parents' business, in addition to Virus Paris?
K. W. : We'll see about that, but I also have two sisters who stayed on with my parents. I can't answer that question today. What matters to me now is my collection. Their work is more classical, more industrial as well.
P. E. : What's your best memory of the school?
K. W. : This is the worst and the best of my memories. It was during the last two months at Esmod Paris when I was preparing my graduation collection. I didn't sleep much during those two months. I wanted to make a collection that I could never do again in my life. I even made the fabric for one of the outfits myself. I worked day and night with the help of vitamins, it wasn't very healthy... But it's also the best memory I have of the school because I made it. It was a challenge. I only finished this collection ten minutes before the final jury. It was a unique experience and it actually encouraged me. Esmod gave me confidence. Now I'm not afraid anymore.
P. E. : How did the contest Lab of Mittelmoda, that you won, go?
K. W. : First of all, I don't really like contests. When I created Virus, I wanted to create clothes for all the people who love my world. Not to seduce everyone. However, I wanted to participate in the Dinan Fashion Festival, but the year I graduated, this contest didn't take place. Finally, a year and a half ago, the Milanese salon Mittelmoda contacted me to take part in their competition. As they were 26 years old and it was my age, so I accepted. After a first selection, I was one of the 25 finalists, which was very exciting. But at the award ceremony I waited until the end. I was stressed out wondering whether I had one of the awards or not. I didn't want to be in the first prizes awarded of course, because they are small prizes. But the more time passed the more I wondered if I had something anyway... In the end I didn't expect to win the biggest prize, the one that crowns the most innovative concept.
P. E. : What advice would you give to students who are completing their fashion education?
K. W. : To start your own business, you have to be very strong. Even for me, who comes from a family in this business, it's not that simple. So for someone who's not starting from scratch, you have to be very sure of yourself to get started. And also to be able to invest a lot at the beginning: of your own time and money. For me creating a brand is an act that commits you for life. It's not an experience that lasts a year or two. It's an essential commitment. That's why, when I'm on the jury, I can be strict, because it's a job that doesn't offer any gifts. While working, I understood why some teachers are so harsh sometimes. This job is difficult, so being too nice to students is not really doing them any favors. Moreover, there is a lot of competition today, designers come from all over the world to start in Paris.
P. E. : What are your plans now??
K. W. : Find partners so I can grow. To be able to open a first Virus Paris shop for example and continue to sell in multi-brands. I would also like to organize events or even fashion shows on a regular basis. In terms of image and work, I dress some celebrities such as supermodel Cindy Bruna. Now I also make stage costumes for example, for musical groups, on commission. Recently I dressed the TFBoys boy band in China (The Fighting Boys). With some success I think... My creations for them have received more than a million 'likes' in just three hours on social networks. That's pretty encouraging!
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